L’agro-écologie peut-elle nourrir le monde ?

Vous pouvez peut être encore visionner le film ici

Après « Le monde selon Monsanto » et « Notre poison quotidien », la journaliste française Marie-Monique Robin présentait en septembre à Bruxelles le dernier opus de sa trilogie sur l’agriculture : « Les moissons du futur », une enquête plaidoyer pour l’agro-écologie et les circuits courts. DLM l’a rencontrée, en compagnie de Virginie Pissoort, de l’ONG SOS Faim, coproducteur du documentaire.


En 2050, avec plus de 9 milliards d’êtres humains, il faudra nourrir une population environ 30% plus nombreuse qu’aujourd’hui. La convergence des régimes alimentaires sur le modèle occidental et l’augmentation de la consommation de viande obligeront l’agriculture à produire environ 70% de plus qu’aujourd’hui. S’ils sont nombreux à estimer que seul l’agro-industrie pourra relever ce défi, Marie Monique-Robin ne partage pas cet avis. Après avoir dressé, dans « Le Monde selon Monsanto », un portrait au vitriol de l’entreprise dominante du secteur des biotechnologies et avoir montré, dans « Notre poison quotidien », comment l’industrie chimique empoisonne nos assiettes, la journaliste française est de retour avec un nouveau documentaire, « les moissons du futur », montrant qu’il existe déjà des alternatives à l’agro-industrie.

Dans ce troisième opus de sa trilogie sur l’agriculture, Marie-Monique Robin poursuit son enquête, dans la droite ligne des films précédents. « Je voulais savoir ce qu’il y a derrière l’argument que l’on entend tous les jours qui dit que l’on ne pourra pas nourrir le monde sans pesticide. Je voulais savoir si c’était vrai. D’autant plus qu’au même moment, j’entendais un autre son de cloche : celui du Belge Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, qui, dans un rapport, affirmait tout le contraire : pour nourrir le monde, il faut se passer des pesticides. »

L’agro-écologie, c’est du savoir paysan associé à de la science de haut niveau

La journaliste promène sa caméra en Afrique, dans les Amériques, en Europe et en Asie, pour y rencontrer des paysans qui pratiquent l’agro-écologie [1]. « Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir par exemple que les rendements en agriculture biologique, contrairement à ce que l’on pense, ne sont pas inférieurs à ceux de l’agriculture industrielle, mais au minimum équivalents et parfois supérieurs. Je ne m’attendais pas à ce que des paysans me disent qu’ils n’ont pas de problèmes avec les mauvaises herbes ou les insectes ravageurs. J’ai vraiment pris conscience que tous les produits dont j’ai déjà parlé dans mes films précédents étaient là pour être vendus par des multinationales qui créent elles-mêmes les problèmes. »
La clé des champs

Monsanto ou Cargill comme beaucoup d’autres transnationales entretiennent la dépendance au vieux modèle de l’agriculture productiviste et industrielle. « C’est le principal obstacle à la transition écologique massive. Comme le dit Olivier De Schutter, elles n’ont aucun intérêt à ce que l’on enseigne aux paysans à se passer de leurs produits. Dans le modèle agro-écologique, la transmission des savoirs se fait entre paysans. On le voit au Kenya ou en Allemagne. Des journées portes ouvertes sont organisées pour l’échange d’expériences. Les paysans se passent totalement des agronomes des stations de recherche des multinationales. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de science parce que l’agro-écologie, c’est du savoir paysan associé à de la science de haut niveau. » Loin des OGM et autres engrais de synthèse, les pratiques filmées par Marie-Monique Robin démontrent que d’autres voies sont possibles et efficaces. A l’heure de la cruciale renégociation de la Politique agricole commune (PAC) au sein des instances européennes, la réalisatrice insiste : « Tout le monde sait que le principal problème actuel en agriculture, ce sont les multinationales qui contrôlent les intrants, les semences et le marché des produits. Mais l’agriculture ne peut être considérée comme un produit comme les autres. Il faut retirer les produits agricoles du marché. Il faut protéger les productions nationales, prendre des mesures protectionnistes, tant dans le Sud que dans le Nord d’ailleurs, parce que les aliments sont primordiaux. Sans aliment ni paysan, il n’y a rien qui tourne sur cette planète. C’est ça l’un des messages du film : redonner aux paysans la clé des champs. Parce qu’il y en a plein, en Belgique, en France qui n’en peuvent plus du modèle actuel fait d’endettement et de revenus incertains et n’attendent qu’une chose : un signal politique clair qui dise qu’on change de cap. »

 

 

Le documentaire se penche aussi sur les pratiques des consommateurs, comme les Teiki au Japon où l’on s’organise en filière courte (directement du paysan au consommateur). Pratique qui a inspiré les groupes d’achat solidaire (GAS) et autre « paniers bios » en Europe. « On pense que c’est une histoire de bobos mais il y a une prise de conscience qui touche tous les milieux. Il faut continuer à informer les gens. C’est tout un processus de rééducation qui doit passer notamment par les écoles. Il devrait y avoir des jardins où l’on apprend à planter une graine, à voir pousser une salade et à la manger après. Il y a plein de citadins qui ne savent pas comment pousse une carotte. Alors, comment voulez-vous qu’après ils apprécient la carotte et sachent en plus la cuisiner ? »

Il y a plein de citadins qui ne savent pas comment pousse une carotte

Là où ses films précédents laissaient parfois aux spectateurs un arrière-goût d’impuissance face aux révélations, « Les moissons du futur » est un documentaire résolument optimiste porté sur les remèdes possibles au défi alimentaire. Marie-Monique Robin ne s’avoue pas découragée et revient de ce tour du monde avec l’intime conviction qu’il y a urgence à changer de cap. « J’ai pris conscience que le réchauffement climatique et la perte de biodiversité sont très avancés, que les problèmes de ressources en eau ou la crise énergétique qui se profilent sont d’énormes défis. Plus on perd du temps, plus la facture sera élevée… J’espère que les hommes politiques vont comprendre qu’il faut vraiment agir vite. On a encore la possibilité d’inverser la tendance. Les solutions pour nourrir la planète dans des bonnes conditions existent, mais il ne faut pas traîner. »
Le quatrième pouvoir

Chose assez singulière dans le monde du documentaire, le film a été coproduit par SOS Faim en Belgique. Comme l’explique Virginie Pissoort qui a assuré le suivi pour l’ONG, « c’est une histoire qui remonte à deux ans. SOS Faim est très attaché à la représentation en image et en son des enjeux et problématiques paysannes. On a voulu produire un film documentaire positif pour montrer comment les paysans pourraient nourrir le monde en 2050. On a lancé un appel à proposition. On a reçu plusieurs réponses, parmi lesquelles celle de Marie-Monique Robin. On a décidé de travailler ensemble ».

Quand certains rétorquent que la journaliste manque d’objectivité et de neutralité sur son sujet, étant coproduite notamment par des ONG, Marie-Monique Robin s’agace : « Je trouve assez surprenant qu’à chaque fois on me pose la question sur le fait que je suis militante. Militer, c’est aller en guerre contre – milito en latin. Les journalistes vont en guerre contre le mensonge. Ils sont censés être le quatrième pouvoir. Cette collaboration avec SOS Faim et l’appel à souscription ont permis au film de se faire dans de bonnes conditions. De façon indépendante, sans passer par des banques ou autres, ce qui est un privilège. Si les journalistes et les ONG partagent des valeurs qui vont vers un progrès pour notre planète, ce n’est quand même pas un scandale ! ». Virginie Pissoort renchérit : « On a suivi un peu les rushs, mais la réalisatrice c’est Marie-Monique. C’est elle qui connaît son boulot. On avait entièrement confiance. A SOS Faim, on ne s’est donc pas transformé en ONG de co-production. Le propos, c’est elle qui l’argumente en fonction des témoignages recueillis sur le terrain. »

Le film continue son parcours après les diffusions sur ARTE, la RTBF et au Festival AlimenTerre. A SOS Faim, on compte bien le faire circuler dans les festivals. « L’intention est de faire vivre ce film via les réseaux associatifs et paysans en Afrique, en Europe et partout là où il pourra être diffuser », explique Virginie Pissoort.

De son côté, la réalisatrice planche maintenant sur un autre film. Dans sa ligne de mire : le sacro-saint concept de croissance. « Je pense qu’il faut s’interroger sur les origines de cette obsession et si elle ne serait pas par hasard l’une des raisons pour lesquelles nous allons tous dans le mur. Qu’est-ce qui fait qu’on continue à s’accrocher à ce mythe, cette espèce de dogme, alors que nous savons très bien que le monde dans lequel nous vivons a des ressources limitées. N’y a-t-il pas un paradoxe ? Ne faudrait-il pas changer le logiciel, là aussi ? »

 

Article de Julien Truddaïu