Régulations biologiques en semis direct sous couvert (SCV) (programme terminé)

 

 

Conception et évaluation de systèmes en semis direct sous couvert permanent (SCV) : étude et usage des régulations biologiques

Safia Mediene, Eleonora Barilli, Stéphane de Tourdonnet, Didier Picard, Patrick Saulas, Inès Shili, Jean Roger-Estrade, Thierry Doré. Source http://www5.versailles-grignon.inra.fr
 

 

On observe en France un accroissement rapide des surfaces cultivées sans labour ces dernières années, qui représentent aujourd’hui un tiers de la sole cultivée, pour des raisons avant tout économiques (augmentation de la rentabilité via la diminution du temps de travail , des charges de mécanisation et de l’emploi d’énergie fossile), mais aussi agro-environnementale (en particulier lutte contre l’érosion et la dégradation de la fertilité des sols). Dans le contexte actuel, ces moteurs sont extrêmement puissants et stimulent des processus d’innovation technique et sociale qui conduit à une diversité de pratiques de travail du sol : le pseudo-labour, le travail superficiel et le semis direct (SD) pour lequel on n’a plus aucun travail du sol avant le semis. Le semis direct permet de conserver à la surface du sol un mulch constitué des résidus de récolte.La diminution, voire la suppression, des perturbations mécaniques du sol ainsi que la présence d’un mulch végétal conduisent à de profondes modifications du fonctionnement de l’agrosystème pour deux raisons principales (de Tourdonnet et al. 2007) :

  • l’instauration progressive d’un gradient vertical de concentration en matière organique qui s’accumule en surface. Cela modifie les processus bio-géo-chimiques à l’origine des fonctions de recyclage, de stockage et de transformation des éléments qui participent à la qualité, à la fertilité des sols. Cela conduit également à accroissement notable du taux de matière organique et à un stockage du carbone, à la protection physique de la surface du sol contre les agressions climatiques qui, combinée à une plus grande stabilité des agrégats permet de lutter très efficacement contre l’érosion.
  • l’apparition d’un habitat beaucoup plus favorable aux organismes du sol dont le nombre, la diversité et l’activité augmentent souvent. Ces modifications des communautés et des activités biologiques entraînent des modifications de la dynamique de la matière organique et de la structure, et donc du fonctionnement global du sol.

 

Ces systèmes de culture sont donc potentiellement très intéressants pour accroître la qualité des sols et intensifier certains processus de nature à fournir des services écologiques (Labreuche et al, 2007). Ces profondes modifications du fonctionnement de l’agrosystème conduisent l’agriculteur à revoir l’ensemble de son itinéraire technique, notamment pour contrôler les adventices qui ne sont plus enfouies par le labour et maintenir un état structural favorable. Cela peut conduire à accroitre l’usage de produits phytosanitaires, ce qui peut mettre en péril la durabilité de ces systèmes pour des raisons d’impacts environnementaux, d’acceptabilité sociale et de coûts. Un des solutions est d’introduire des plantes de couverture dans la rotation, utilisées pour assurer des services écologiques importants pour ces systèmes sans labour : création de porosité biologique, étouffement des adventices etc. On parle alors de semis direct sous couvert végétal (SCV). Si la plante de couverture n’est pas détruite, elle coexiste avec la culture commerciale dans un système de cultures associées encore très peu développé en France. L’agriculture de conservation (AC) regroupe les pratiques construites autour de la mise en œuvre de 3 principes: (1) perturbation minimale du sol, (2) protection du sol via le maintien d’une couverture végétale permanente en surface, (3) diversification des rotations et associations de cultures.

 

OBJECTIF DES RECHERCHES

L’enjeu est de comprendre ces processus écologiques, et notamment le rôle clé joué par les plantes de couverture (de Tourdonnet et al. 2006a, 2007, Malézieux et al. 2007), de manière à les utiliser pour réduire l’usage des moyens mécaniques et chimiques de contrôle du champ cultivé. L’enjeu est également d’inscrire ces recherches dans un processus d’innovation original, fondé sur un apprentissage permanent et adaptatif au sein de réseaux sociotechniques dans lequel les agriculteurs jouent un rôle essentiel, et qui bouscule les schémas linéaires de conception et transfert des innovations (de Tourdonnet et al. 2006a, Lahmar et al. 2006 ; Triomphe et al. 2007).

 

Le programme SCV a donc l’ambition de produire des connaissances sur les régulations biologiques dans les SCV pour concevoir/ et valuer des systèmes de culture innovants et accompagner le processus d’innovation en cours autour des techniques sans labour.

 

 

APPROCHES SCIENTIFIQUES ET PRINCIPAUX RESULTATS

 

Conception – Evaluation de SCV.

 

Des expérimentations de longue durée ont été mises en place sur les domaines expérimentaux INRA de Versailles (depuis 1998) et Grignon (depuis 2003) sur lesquelles sont développées des méthodes de diagnostic agronomique, d’élaboration et de test de règles de décision, d’évaluation agronomique, environnementale et économique des performances des systèmes.

 

A Versailles, il s’agit d’une expérimentation ‘systèmes’ où sont comparés quatre systèmes de culture : conventionnel, intégré, biologique et semis direct sous couvert vivant. Le système SCV permet d’obtenir rapidement (6 ans) une augmentation relative significative du taux de matière organique, en particulier de sa fraction figurée (Balabanne et al. 2006), un accroissement de l’activité et de la biomasse de vers de terre et une plus grande diversité de microorganismes (champignons en particulier). L’évaluation d’impact environnemental des SCV donne de bons résultats mais les rendements obtenus sont plus faibles que dans le système conventionnel (82 q/ha en moyenne pour le blé contre 103 q/ha) en raison des difficultés à gérer la coexistence entre une culture commerciale et une plante de couverture vivante (Bertrand et al, 2005). Cela nous a conduit à étudier les relations de compétition pour améliorer ce système de culture très innovant.

 

A Grignon, nous étudions le comportement d’associations issues du semis direct d’une culture de blé dans différentes plantes de couverture maintenues vivantes tout au long de l’année : trèfle blanc, minette, lotier, luzerne, fétuque rouge, fétuque ovine. Des méthodes de diagnostic agronomique permettent de détecter les phases de compétition entre le blé et les couverts vivants et d’ajuster la conduite technique pour éviter des baisses de rendement du blé (Carof, 2006).

Blé sur couvert de fétuque Blé sur couvert de trèfle blanc Blé sur couvert de lotier corniculé
Blé sur couvert de fétuque Blé sur couvert de trèfle blanc Blé sur couvert de lotier corniculé

 

Etude des processus de régulation biologique en SCV.

 

Les recherches se sont en particulier focalisées sur

 

  1. les processus de création de porosité biologique et ses conséquences sur le fonctionnement hydrodynamique : la présence d’une plante de couverture vivante permet d’accroître la porosité du sol en semis direct, et de la maintenir après l’hiver à un niveau comparable à celui d’une parcelle labourée (Figure 1, Carof et al. 2005, 2007a)
  2. les relations de compétition et de facilitation qui s’exercent entre les différentes communautés végétales. La plante de couverture, cultivée en association, modifie la disponibilité des ressources dans l’agrosystème, dans un sens qui peut être préjudiciable à la culture commerciale (compétition) ou au contraire favorable : facilitation par étouffement des adventices (Figure 2) ou accroissement des ressources (absorption des reliquats, fixation symbiotique si légumineuse, minéralisation des résidus du couvert). Cet équilibre, qui dépend des espèces végétales cultivées en association, des conditions pédo-climatiques, peut être piloté par les techniques culturales : dates de semis, fertilisation azotée etc. (Carof, 2006 ; Carof et al. 2007b, c).

 

Modélisation du fonctionnement des SCV

 

Nous utilisons le modèle STICS cultures associées pour affiner la compréhension des processus et tester des modalités de gestion du système de culture permettant de valoriser l’usage de certains processus écologiques : compétition et facilitation notamment. (Figure 3, Ghiloufi et al 2001; Shili et al 2008). Ce travail est en cours dans le cadre de la thèse d’Inès Shili.

 

Etude et accompagnement du processus d’innovation et de changement de pratiques des agriculteurs en TSL.

 

Cet axe de recherche a débuté plus récemment, en collaboration avec des chercheurs en sciences sociales (Triomphe et al., 2007, projet DISCOTECH) et en partenariat avec différents acteurs du monde agricole : associations d’agriculteurs, chambres d’agriculture, coopératives, instituts techniques… Il pendra de l’ampleur dans les années à venir, notamment grâce au projet PEPITES (voir ci-dessous).

 

Implication dans des projets sur l’agriculture de conservation

  • Projet PEPITES : Processus écologiques et processus d’innovation technique et social en agriculture de conservation (2009-2012). Ce projet coordonné par S. de Tourdonnet et financé par l’ANR (programme Systerra) rassemble 10 partenaires de l’INRA, du CIRAD, de l’IRD, d’AgroParisTech et de l’ISARA sur 3 pays: la France, le Brésil et Madagascar. L’objectif général du projet PEPITES est de produire des connaissances sur les processus écologiques, les processus d’innovation et sur leurs interactions en agriculture de conservation pour évaluer et concevoir des systèmes techniques au travers de dispositifs d’accompagnement innovant. L’enjeu est de générer et d’utiliser dans un processus d’innovation des connaissances sur les processus écologique pour accroître la durabilité des systèmes.
  • Projet : Impacts environnementaux des techniques culturales sans labour en France (2006-2007). Ce projet, financé par l’ADEME, rassemblait huit organismes de recherche et de développement pour faire un état des lieux des impacts des TSL sur la qualité des sols, la biodiversité, l’eau, l’air et les ressources fossiles (de Tourdonnet et al, 2007 ; Labreuche et al., 2007).
  • Projet KASSA : Knowledge Assessment and Sharing on Sustainable Agriculture (2005-2006). Ce projet européen coordonné par le CIRAD rassemblait 31 partenaires de 18 pays situés dans 4 zones du monde : Europe du nord (coordinateur : S. de Tourdonnet), Méditerranée, Amérique du sud et Asie. L’objectif du projet était de réaliser une synthèse de la connaissance scientifique disponible dans chacune des zones (pour la zone Europe : de Tourdonnet et al, 2006a) afin de mener une analyse comparée des résultats acquis entre les 4 zones (de Tourdonnet et al, 2006b) et de faire des propositions en terme de recherche et développement de l’agriculture de conservation dans chaque zone (de Tourdonnet et al, 2006c, Lahmar et al, 2006).